Écho de presse

26 janvier 1855 : Le suicide de Gérard de Nerval

le 25/01/2023 par Pierre Ancery
le 19/12/2018 par Pierre Ancery - modifié le 25/01/2023

Le grand écrivain et poète romantique est retrouvé pendu rue de la Vieille-Lanterne, à Paris, le 26 janvier 1855. Les journaux du lendemain lui rendent hommage, à commencer par La Presse, sous la plume de son vieil ami Théophile Gautier.

Le 28 janvier 1855, Le Figaro annonce à ses lecteurs :

« On nous apprend à l'instant une bien triste nouvelle : M. Gérard de Nerval, atteint depuis quelques années d'une affection cérébrale, vient de mettre fin à ses jours. »

Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, est né en 1808. Auteur de recueils de nouvelles et de poèmes (Les Filles du Feu, Aurélia), mais aussi de traductions (Faust de Goethe) et de récits de voyages (Voyage en Orient), il s'était imposé comme une figure majeure du romantisme.

 

Son suicide, à 46 ans, va causer une immense stupeur et une profonde tristesse dans le monde littéraire français. Son ami Edmond Texier écrit dans Le Siècle, au lendemain de la nouvelle :

« Au moment où je termine ces lignes, j'apprends la mort subite d'un camarade littéraire qui fut un des esprits les plus fins, les plus charmants et les plus distingués de notre temps, de Gérard de Nerval.

 

Sa perte causera des regrets profonds parmi toutes les personnes qui l'ont connu, et les lettres pleurent en lui l'écrivain le plus vraiment naïf et l'un des plus franchement originaux de ce siècle. Gérard de Nerval laisse après lui une œuvre dont une certaine partie ne périra pas. »

L'Assemblée nationale donne des détails sur sa mort, survenue dans l'un « des coins les plus hideux de Paris », rue de la Vieille-Lanterne, aujourd'hui disparue et alors située à côté de la place du Châtelet. C'est à la grille qui fermait un égoût de la rue que Nerval s'est pendu.

« Vendredi, 26 janvier, à sept heures du matin, un homme fut trouvé pendu dans un coin de Paris. Le sergent de ville qui décrocha le corps déjà raidi par le froid, le porta à la Morgue. Un vieux passeport retiré de la poche de son paletot, apprit à la police le nom que portait le mort.

 

Bientôt une vague rumeur se répandit dans Paris, et vers midi les oisifs de la grande ville furent informés qu’un poète s’était pendu aux premières lueurs du jour. La nouvelle de la mort de Gérard de Nerval vola de bouche en bouche. »

Dans les jours suivant la nouvelle, les hommages de ses proches vont pleuvoir dans la presse. Le plus émouvant est sans doute celui de son vieil ami l'écrivain et poète Théophile Gautier, qui publie le 30 janvier un long texte dans La Presse, journal auquel Nerval avait lui aussi collaboré.

« Dans ces mêmes colonnes où jadis il enlaçait à notre G. son G. fraternel, nous, le survivant, nous avons la profonde douleur d'annoncer la mort de Gérard de Nerval, notre meilleur et plus ancien ami [...]. Cette nouvelle, répandue avec toute la rapidité des mauvaises nouvelles, a causé dans Paris une véritable stupeur ; Paris si distrait, si affairé, si frivole s'est arrêté un instant pour s'enquérir de cette mort [...].

 

Cet affreux malheur ne peut être imputé ni à lui ni aux autres, – amère consolation, mais consolation, du moins [...]. Le malheur de cette existence – et nous ne savons si nous avons le droit d'écrire un tel mot – a de tout autres causes que les difficultés de la vie littéraire et qu'un vulgaire dénuement d'argent. »

Gautier tente d'expliquer le suicide de son ami, sujet depuis plusieurs années à de multiples « crises de folie » (il avait été interné dans la clinique du docteur Blanche, à Montmartre) :

« L'envahissement progressif du rêve a rendu la vie de Gérard de Nerval peu à peu impossible dans le milieu où se meuvent les réalités [...]. Ses lectures bizarres, sa vie excentrique, en dehors presque de toutes les conditions humaines, ses longues promenades solitaires […], le détachaient de plus en plus de la sphère où nous restons retenus par les pesanteurs du positivisme.

 

Un amour heureux ou malheureux, nous l'ignorons, tant sa réserve était grande, et auquel il a fait lui-même, dans plusieurs de ses œuvres, des allusions pudiques et voilées, porta cette exaltation, jusque-là intérieure et contenue, au dernier degré du paroxysme [...].

 

Cet esprit si charmant, si ailé, si lumineux, si tendre, s'est évaporé à jamais ; il a secoué son enveloppe terrestre, comme un haillon dont il ne voulait plus, et il est entré dans ce monde d'elohims, d'anges, de sylphes, dans ce paradis d'ombres adorées et de visions célestes, qui lui était déjà familier. »

La rue de la Vieille lanterne, ou Allégorie sur la mort de Gérard de Nerval, estampe de Gustave Doré, 1855 - source : Gallica-BnF
La rue de la Vieille lanterne, ou Allégorie sur la mort de Gérard de Nerval, estampe de Gustave Doré, 1855 - source : Gallica-BnF

Le Constitutionnel publie quant à lui « La Dernière page de Gérard de Nerval », une description nostalgique des bords de l'Oise et de la forêt de Chantilly. L'auteur de l'article, Charles Brainne, évoque à demi-mot l'amour désespéré que portait Nerval à l'actrice Jenny Colon – laquelle ne répondit pas à son affection.

« Il est un secret de la vie de Gérard de Nerval qui lui conciliera la sympathie et l'admiration des cœurs aimants : c'est l'amour qui l'avait rendu fou : c'est l'amour qui l'a tué.

 

Ce preux chevaleresque, ce poète idéal a passé, le front pâle et le cœur brisé, au milieu d'un siècle gui n'était pas le sien, et dans lequel, par un singulier anachronisme, il semblait personnifier le génie mélancolique et incompris de Werther. »

Un service funèbre a lieu à Notre-Dame, puis Gérard de Nerval est enterré au cimetière du Père Lachaise. Le Siècle, dans son compte-rendu, donne la liste des personnalités présentes, parmi lesquelles Théophile Gauthier, Alexandre Dumas et Alexandre Dumas fils, ou encore le peintre Théodore Chassériau.

« Une belle intelligence, un des plus charmants esprits de notre temps, un conteur spirituel et délicat, et, ce qui vaut mieux encore, un noble cœur, un loyal caractère, Gérard de Nerval a disparu tout à coup du milieu de nous ; il a disparu dans un douloureux et impénétrable mystère.

 

La nouvelle de cette mort imprévue a produit une triste impression, elle a soulevé d'universels regrets ; une foule nombreuse se pressait autour de cet humble cercueil que n'environnait aucun faste. »

Certains des amis du poète, parmi lesquels Arsène Houssaye, émettront la thèse d'un assassinat perpétré par des rôdeurs, thèse qui réapparaîtra à plusieurs reprises (par exemple en 1881 dans Le Temps) et est aujourd'hui encore sujette à débat.

 

Gérard de Nerval figure aujourd'hui dans le panthéon des grands poètes français du XIXe siècle.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jean-Paul Bourre, Gérard de Nerval, Bartillat, 2001

 

Gérard Cogez, Gérard de Nerval, Folio Biographies, 2010

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