Écho de presse

Nathalie Le Mel, figure ouvrière et combattante de la Commune

le 22/05/2022 par Michèle Pedinielli
le 15/03/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 22/05/2022
Les communardes Elisabeth Dimitrieff (à gauche) et Nathalie Le Mel (à droite), circa 1871 - source : Creative Commons
Les communardes Elisabeth Dimitrieff (à gauche) et Nathalie Le Mel (à droite), circa 1871 - source : Creative Commons

En 1921 meurt Nathalie Le Mel, figure du socialisme révolutionnaire français. La presse de gauche dresse alors le portrait de la grande militante, autrefois à l’origine du restaurant coopératif La Marmite et en première ligne devant la répression « versaillaise ».

Née à Brest en 1826, Nathalie Perrine Duval devient ouvrière relieuse de livres aux côtés de Jérôme Le Mel qu'elle épouse en 1845. En 1861, les époux sont contraints de rejoindre Paris pour chercher du travail. Le Mel boit beaucoup, trop, et la jeune femme le quitte rapidement après leur arrivée à la capitale.

Militante socialiste, Nathalie Le Mel (souvent écrit « Lemel » dans les journaux) adhère dès 1865 à l'Association Internationale des travailleurs fondée l'année précédente à Londres. Pendant les grèves des ouvriers du livre en 1864 et 1865, elle se rapproche d'Eugène Varlin, ouvrier relieur comme elle, militant socialiste et dirigeant de l'Internationale. Avec lui, elle fonde La Marmite, un restaurant coopératif pour « fournir au prix de revient, à tous les sociétaires, une nourriture saine et abondante à consommer sur place ou à emporter » et permettre ainsi aux ouvriers de ne pas être étranglés par les prix sur les produits de première nécessité.

« Varlin avait proclamé, l'un des premiers, que les droits et les devoirs de la femme et de l'homme étaient égaux, et il avait tenu à ce, que les femmes participent à l'administration de ‘la marmite’. Ces ainsi que l'on retrouve le nom de Nathalie Le Mel parmi les signataires des statuts de la Société, adoptés en assemblée générale le 19 janvier 1866.

Le Mel avait alors 42 ans environ. Elle militait ardemment, apportait dans toutes les réunions une ardeur de propagandiste, une foi juvénile dans les destinées du socialisme, qui forçaient l'admiration.

Charles Keller, le bon poète alsacien, qui fut membre de la première Internationale et qui fréquentait ‘la Marmite’ parle ainsi de la militante.

‘On causait (à la Marmite). On chantait aussi. Le beau baryton Alphonse Delacour, nous disait du Pierre Dupont, le Chant des Ouvriers, la Locomotive, etc. La citoyenne Nathalie Le Mel ne chantait pas, elle philosophait et résolvait les grands problèmes avec une simplicité et une facilité extraordinaires. Nous l'aimions tous elle était déjà la doyenne’. »

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D'autres restaurants coopératifs sont rapidement organisés à Paris, à la suite de la réussite de La Marmite.

« D'autres Marmites furent installées, plus tard, rue des Blancs-Manteaux, rue du Château et rue Berzélius. Le bon temps ! L'ardent apostolat !

On travaillait dix heures par jour, heureux du gain de deux heures obtenu, en 1864, par la grève, et l'on se retrouvait, le soir, çà et là, souvent chez Varlin, 33, rue Dauphine, pour concerter les moyens d'obtenir davantage et d'entraîner dans le mouvement toute la classe ouvrière. »

Le 18 mars 1871, lorsque la Commune est proclamée, Nathalie Le Mel, 45 ans,  devient l'une des organisatrices de l'insurrection parisienne. Dès le 11 avril, elle fonde avec Élisabeth Dmitrieff l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés.

« Pendant le siège de Paris, elle fit partie du Comité central de l'Union des Femmes, sans cesser de s'occuper de la Marmite de la rue Larrey.

Le 6 mai, sous la Commune, elle rédigeait, avec Mme Dmitrieff un appel aux armes adressé aux femmes, et pendant la semaine sanglante ; elle soignait les blessés et distribuait des munitions aux insurgés. »

Théoricienne, oratrice, Nathalie Le Mel est aussi une femme de combat. Le rapport de la Commission des grâces qui juge son cas au mois d’août 1873 en témoigne :

« Sous la Commune, l’exaltation de son langage n’a pas connu de bornes, et on l’a entendue dans les clubs de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, de la Trinité, de Notre-Dame de la Croix, prêcher les théories les plus subversives. De concert avec la nommée Dmitrieff, elle a rédigé le 6 mai un manifeste qui est au dossier p. 42, et qui dans les termes les plus violents, appelle aux armes les femmes de Paris.

Enfin, lors de l’entrée des troupes régulières dans Paris, à la tête d’un bataillon d’une cinquantaine de femmes, elle a construit la barricade de la place Pigalle, et elle y a arboré le drapeau rouge.

‘Vous êtes des lâches, disait-elle aux gardes nationaux... Si vous ne défendez pas les barricades, nous les défendrons’. »

Pendant l'insurrection et surtout lors de la Semaine sanglante qui fracasse les espoirs  révolutionnaires, Le Mel est partout, dans les clubs de paroles comme sur les barricades.

« Nathalie Le Mel est au premier rang avec Varlin, revenu de Belgique. Elle combat par la parole, rallie les résistants à la cause, se dépense fébrilement.

Puis, c'est la Semaine Sanglante, alors, elle paie de sa personne, sur les barricades. N'a-t-on pas proclamé l’égalité de droits et des devoirs de l’homme et de la femme ?

Elle fait le coup de feu sur la barricade des Dames, vers la place Pigalle. »

Elle est arrêtée par les « Versaillais » le 21 juin et passe devant le Conseil de guerre le 10 septembre 1872. Pour la plupart des commentateurs des débuts de la IIIe République, Nathalie Le Mel est en premier lieu coupable d'être une femme hors norme.

« Mariée à un honnête ouvrier relieur, qu'elle a rendu le plus malheureux des hommes ; mère de trois enfants, parmi lesquels figure une jeune fille de seize ans, Nathalie Lemel est une forte personne de quarante-cinq ans qui, aux joies intimes du foyer, a préféré les enivrements de la tribune. »

Lorsque le président l'interroge sur sa participation aux combats, elle ne se dérobe pas.

« D. Vous avez joué un rôle à la barricade de la place Pigalle ?

R. Il y a eu environ une cinquantaine de femmes de bonne volonté qui ont construit la barricade de la place Pigalle le lendemain de l'entrée des troupes dans Paris. J'étais parmi ces femmes, c'était encore vrai ; mais je n'avais pas d'armes ; je ne suis jamais sortie de Paris pour combattre. [...]

D. Dans quel but éleviez-vous cette barricade ?

R. Dans un but de défense contre ceux qui assassinaient. »

Toujours pendant les procès des communards, le journaliste du Petit Journal dresse un portrait condescendant de la militante, dans le sillage de la ligne politique du quotidien conservateur : elle n'aurait certes pas « l'étoffe d'un Mirabeau » mais, concède-t-il, « sa voix devait quelquefois impressionner l'assistance, lorsqu'elle tonnait du haut de la chaire de Saint-Germain-L’auxerrois ou de la Trinité, où se tenaient les clubs de l'insurrection ». Mais une « étrange manie s'était manifestée en elle : elle voulait envoyer toutes les femmes aux barricades ». Malgré tout, le journaliste lui concède simplicité et franchise.

« Est-ce une personne aussi dangereuse que la représente M. le capitaine Dagon de la Conterie, commissaire de la République ?

L'habile défenseur, Me Albert Joly, fait remarquer au conseil l'attitude franche et exempte d'affectation que sa cliente n'a cessé de garder au cours des débats. Nathalie Lemel, en effet, n'a cherché à nier aucun détail de sa participation aux entreprises de la Commune de Paris.

Elle avoue qu'elle a encouragé et pourvu de munitions les combattants de la barricade de la place Pigalle ; qu'elle a publié un manifeste préconisant la ‘guerre à outrance contre les assassins de Versailles’, qu'elle a porté dans ses mains un drapeau rouge, et qu'au moment de la défaite, elle a tenté de s'empoisonner. »

Condamnée à la déportation, elle refuse le recours en grâce formulé par ses amis et on l'embarque le 24 août 1873 pour la Nouvelle-Calédonie. A ses côtés, Louise Michel et une vingtaine d'autres communards.

« Elle part à la  Nouvelle-Calédonie, à l'île Ducos, avec Rochefort, Louise Michel, dont elle partagea la case, Charbonnaud, un excellent militant, menuisier, dont nous parlerons un jour, et tous les autres.

Là-bas, elle fait, comme les déportés, un peu d'élevage et de culture, afin de vivre. Un camarade ayant voulu monter un petit atelier de dorure, demanda du matériel à Boyenval, resté à Paris, qui le lui envoya avec l'espoir que Nathalie, sa vaillante amie, y serait embauchée, mais son espoir fut vain. »

En 1879, graciée, elle retournera à Paris où elle sera employée comme relieuse par L'Intransigeant, publication pour laquelle elle travaillera jusqu'à ce que l'âge ne l'en empêche. Nathalie Le Mel s'éteindra dans le dénuement à l’hospice le 8 mai 1921.

Pour en savoir plus :

Nathalie Le Mel sur Le Maîtron, encyclopédie en ligne du monde ouvrier

Tiphaine Martin, « Une communarde brestoise, Nathalie Le Mel », in : De George Sand à Louise Michel : combats politiques, littéraires et féministes (1815-1870), Mix Cité, Sep. 2016

Eugène Kerbaul, Nathalie Le Mel : une Bretonne révolutionnaire et féministe, Le Temps des Cerises, 2003